vendredi 13 novembre 2009

UN INTERVIEW du Légume pour DBD - revu et corrigé

INTERVIEW de MANDRYKA (parue dans le DBD N°36)

Par Frédéric BOSSER

Commençons si vous le voulez bien par une question que l’on a dû vous poser des dizaines de fois! Comment est né Le concombre masqué?

D’abord de ma passion pour une bande dessinée signée Forest que je lisais dans Vaillant : Le Copyright. Frustré quand elle a brutalement été interrompue, je l’ai continuée dans mes cahiers d’écolier. Pour vous le situer, Le Copyright, un animal que l’auteur qualifiait de «fabuleux», était affublé d’une tête de tortue, d’une queue de lézard et d’une poche ventrale d’où sortaient toutes sortes d’ustensiles. Vivant dans le désert, son cri était «Varlop! Varlop!» et son ennemi héréditaire s'appelait le Bigleux. C’était une sorte d’anarchiste asocial et désertique.

Avec ce que vous nous décrivez de cet animal, il y a un monde pour arriver à un concombre…

En lui enlevant la queue, cet animal prenait la forme d’un concombre. Mais il ne s’est pas tout de suite appelé Le concombre masqué, son premier nom fut Prosper… Ce n’est que bien plus tard, à mon arrivée en France – après une enfance bahutée entre la Tunisie et le Maroc – que je l’ai repris.

Forest a-t-il su que votre Concombre trouvait son origine dans une de ses créations?

Je devais avoir 25 ans quand je lui en ai parlé! J’ai eu l’impression qu’il n’en était pas très content. Peut-être parce que je lui avais «piqué son personnage». Mais ça, c’est mon interprétation. Sa réaction m’a plutôt étonné car je pensais qu’il serait content de l’hommage!

Pourquoi avoir choisi la bande dessinée comme mode d’expression?

Au départ, je voulais faire du cinéma. J’ai d’ailleurs suivi les cours de l’IDHEC en compagnie entre autres de Claude Miller, Pierre Samson qui a réalisé des films pour l'industrie , Bruno Mathon qui a viré vers la peinture et de tant d'autres, qui se sont illustrés dans le cinéma ou la télévision, comme Bernard Stora. Grâce au son et au mouvement, je trouvais qu’avec ce média, j’étais beaucoup plus dans le réel pour exprimer les choses. Mais diplôme en poche, ce qui ne m’a pas plu en tant qu’assistant sur les deux films où j’ai été engagé, c’est le travail en lui-même, nécessaire pour réaliser un film. Trop de contraintes, trop d’outils, trop de technique, trop de gens impliqués, toute une équipe à gérer. C'était trop compliqué pour moi. Une bande dessinée ne demande qu’un crayon et du papier. Alors, je n’ai pas poursuivi dans cette voie. Comme me l’a dit l’assistante du directeur de l’école à la remise de mon diplôme, j’étais un rêveur! Ce qui sous-entendait que je ne ferai jamais rien dans la vie. (Rires.) Mais je revendique cet état de rêveur patenté que je pense avoir su conserver. Elle n’avait pas tort, cette dame, car ma manière d’être fait que j’étais bien incapable de gérer un film. C’est sûrement pour cette raison que je me suis tourné vers la bande dessinée. Là, il me suffisait d’un simple crayon et d'une feuille de papier pour mettre mes rêves en scène .

À quand remonte cet intérêt pour la bande dessinée?

J'ai commencé à faire de la bande dessinée quand j’étais gosse, à sept ou huit ans, en recopiant des images du journal de Spirou ou de séries de cow-boys comme Tex Willer et en y introduisant mes propres textes. J'ai ainsi dessiné huit numéros d'un journal de bande dessinée intitulé Super Digest, que je vendais à mon épicier. Je me suis servi plus tard de tout ce que j'avais appris du surréalisme dans les premiers Walt Disney, du délire orchestré dans les films des Marx Brothers et de l'héroïsme d'opérette des Flash Gordon. J’ai lu aussi Alice au pays des merveilles très tôt, à dix ans peut-être. Je notais les éléments qui me plaisaient avant de partir sur ma propre histoire. Je procède encore souvent de cette façon...

Puis c’est le grand saut ?

Parmi les copains que je fréquentais au quartier latin se trouvait un certain Ramon Monzon, auteur de BD dans le journal de Vaillant où il dessinait Group-Group. Un jour, il m’a demandé de lui écrire des scénarios, ce que j’ai fait avec plaisir. Puis comme je n’avais pas beaucoup d’argent pour vivre à Paris, j’ai fini par proposer à la rédaction de Vaillant en 1965 de réaliser mes propres histoires. Ce qui fut accepté. De fil en aiguille et après plusieurs collaborations, l’idée du Concombre masqué est revenue à la surface…

Pourquoi avoir signé sous le nom de Kalkus?

Je ne sais pas. Pour d’obscures raisons psychanalytiques sans doute… Un problème avec le "Nom du Père", comme dirait le docteur Lacan?

À quoi ressemblaient vos premières planches?

C’était déjà de la bande dessinée dite à l’époque «humoristique». Ensuite, on a appelé ça de la bande dessinée «Gros Nez». Disons que mon style était assez proche de celui de Segar sur Popeye.

Revenons à l’arrivée du Concombre dans les pages de Vaillant…

J’ai commencé par leur montrer une histoire complète en cinq pages. Comme ça leur a plu, les rédacteurs en chefs de l’époque m’ont offert la possibilité d’une demi-page par semaine. L’envie de bien faire m’a littéralement stressé et cela s’est ressenti car ils ont refusé ma première planche. C’est là que j’ai compris que, non seulement il fallait que j’apprenne à dessiner, mais aussi que je n’étais pas un gag-man «en puissance». Jusque là, je m’en étais sorti parce que je travaillais sans pression et à mon rythme.

Qu’entendez-vous par «je n’étais pas un gag-man en puissance» ?

Je faisais de fausses chutes ! Une sorte d’avant-garde avant la lettre… (Rires.) C’est comme cela que j’ai inventé mon propre style… qui a fini par leur plaire. Ce n’est que bien plus tard que j’ai appris qu’ils se jetaient tous sur ma planche une fois que j’avais tourné les talons. Si j’avais su cela à cette époque, mon ego en aurait été renforcé… (Rires.)

Et au niveau du lectorat?

C’était très divisé. Certains adoraient, d’autres détestaient ! J’ai souvenir de cette dame qui m’avait apostrophé en me disant : «Mais vous qui êtes si beau, comment pouvez-vous dessiner des choses si moches!»

(à suivre)